Les infirmières connaissent bien le concept d’estime de soi (Guerrin, 2009) [1], elles font moins référence à un concept voisin : l’efficacité personnelle issue des travaux d’Albert Bandura. Les concepts d’auto-efficacité ou d’efficacité personnelle, d’apprentissage vicariant sont peu utilisés dans la discipline infirmière. Une manière de les aborder, consiste à découvrir l’homme à l’origine des théories adossées à ces concepts. La biographie d’Albert Bandura nous donne-t-elle des clés pour comprendre la genèse de la théorie de l’apprentissage social dit aussi apprentissage vicariant et de la théorie sociocognitive ? Connaît-on ces théories pour les utiliser dans toutes leurs dimensions ? Dans un premier temps, quelques faits marquants de la vie de ce psychologue seront donnés et dans un deuxième temps seront exposés à partir de recherches bibliographiques, ses théories et quelques limites. Le champ d’application de l’œuvre de Bandura sera ensuite évoqué ainsi que l’enrichissement possible pour la discipline infirmière.
SA VIE [2] [3] (Pajares, 2004) [2], (Scott Brewer, 2008) [3]
Bandura et sa famille
Albert Bandura est né le 4 décembre 1925 au Canada, à Mundare au nord de l’Alberta à 80 km à l’est d’Edmonton, dans un hameau d’environ 400 habitants, la plupart immigrés. Ses parents sont arrivés au Canada alors qu’il était adolescent ; le père d’origine polonaise travaillait pour la pose de la voie de chemin de fer transcanadien et la mère d’origine ukrainienne était employée dans un magasin de la ville. Ses parents ayant réuni suffisamment d’économies ont pu acheter une ferme mais épierrer manuellement leur terrain, a été une entreprise difficile. La famille Bandura a eu parfois des conditions de vie précaire et elle a dû mettre en œuvre ses capacités agentiques notamment lorsque les intempéries ont frappé la ferme causant beaucoup de dégâts. En 1918, la famille a subi la perte de deux enfants. Mais tout n’était pas si pénible dans la vie des Bandura : la famille était unie et les parents d’Albert Bandura savaient créer une ambiance familiale festive. Ses parents n’ayant pas été scolarisés attachaient une grande importance à l’étude et au travail : le père participait à la commission scolaire du quartier dans lequel ils habitaient et avait appris par lui-même trois langues et le violon ; c’était un extraordinaire auto-apprenant selon l’expression d’Albert Bandura.
Les années à l’école de Mundare
Dernier et seul garçon d’une famille de quatre enfants, Albert Bandura a fréquenté l’école de campagne de Mundare jusqu’aux années d’université. Dans cette école, les moyens étaient insuffisants et les élèves obligés de prendre en main leur propre éducation. Pour Albert Bandura : « le contenu de la plupart des manuels est obsolescent mais les outils d’autodirection servent toute la vie. » Cette prise de conscience de la nécessité de l’auto éducation l’a conduit, ensuite à réussir un défi qui paraissait impossible : rentrer à l’université ! L’école a d’ailleurs donné naissance à une classe de diplômés atypiques, et presque tous sont allés fréquenter les universités. Pendant les vacances scolaires d’été, Albert Bandura effectue divers travaux tels que de la menuiserie dans une fabrique de meubles à Edmonton, ou dans un camp de base pour réparer les routes dans le Yukon (Grand Nord). La confrontation à la survie dans la toundra austère au milieu d’humains à la dérive dont la plupart avaient fui les créanciers, les demandes de pensions alimentaires, l’appel militaire, ou les mises en examen, lui a donné une large ouverture sur la vie !
Les années d’études universitaires à Vancouver
Inscrit en 1946 à l’université de Vancouver en biologie, c’est par hasard qu’il a suivi les cours en Faculté de psychologie. Arrivant très tôt le matin, il chercha comment remplir son temps libre avant les cours et trouva un cours de psychologie dont l’horaire lui convenait. Il s’y inscrivit, se passionna et décida de s’y consacrer totalement.
Pour Albert Bandura : « dans la vision proactive de la théorie sociocognitive, la chance favorise les curieux, les aventureux et les tenaces » (Carré, 2004, 12-13) [4]. Devenu un étudiant en psychologie passionné, il obtient trois ans après, en 1949, le prix de l’université Bolocan en psychologie ; tout en travaillant pour financer ses études. Il a cherché ensuite, pour préparer son doctorat, un environnement stimulant et s’est inscrit à l’université d’Iowa (Etats-Unis).
Les années universitaires à Iowa
Il obtint sa maîtrise en 1951 et son doctorat en psychologie clinique en 1952. En tant que citoyen canadien il n’avait pas droit à une bourse, aussi a-t-il dû continuer à travailler pour financer ses études.
Dans les années 1950, dans cette université d’Iowa, deux courants de pensées sont présents : l’un issu des théories de Hull et l’autre de la psychanalyse de Freud, mais Albert Bandura n’était pas attiré par ces courants de pensée. Le premier était trop dépendant du courant comportementaliste par essai et erreur. Le deuxième était contesté dans l’efficacité thérapeutique du courant psychodynamique.
C’est dans l’Iowa qu’il rencontre une jeune femme séduisante qui faisait partie du personnel enseignant du Collège des sciences infirmières : Virginia Varns, elle sera la compagne d’Albert Bandura tout au long de sa vie. Cette rencontre eut lieu de façon fortuite sur un terrain de golf alors qu’Albert Bandura, devant faire le choix d’un sport lors de sa formation, avait opté pour celui-ci par défaut. Ils se marièrent quelques mois plus tard en 1952 et eurent deux filles en 1954 et 1958. En 1982, Albert Bandura consacra son discours présidentiel au Western Psychological Association à la psychologie des rencontres et des parcours de vie ; notons pour l’anecdote que cette convention fut à l’origine du mariage d’un des participants qui arrivant en retard avait pris la chaise vide près de l’entrée, celle qui allait devenir sa femme se trouvait assise à côté de lui ! Pour Albert Bandura, l’influence des événements fortuits est ignorée des sciences sociales, même si elle joue un rôle important dans les parcours de vie. Le hasard joue un rôle important dans les grandes découvertes : à l’exemple de Fleming et sa découverte de la pénicilline. Albert Bandura cite Pasteur pour qui la chance sourit aux esprits préparés. Si la psychologie ne peut prévoir l’éventualité des événements fortuits, quelle que soit la sophistication de notre connaissance du comportement humain, nous pouvons préparer le terrain pour envisager la nature, les limites et la force qu’ils auront dans la vie de l’individu. On peut dire qu’Albert Bandura a influencé son destin par ses actions.
Les années à l’université de Stanford
Nommé enseignant en psychologie à Stanford en 1953, il devint en 1964 professeur titulaire de la chaire David Starr Jordan, le premier président de l’université.
L’université de Stanford était une université de haut niveau dont William James avait dit en 1906 qu’on ne peut envisager pour un intellectuel un meilleur environnement pour enseigner et travailler, de plus pour Albert Bandura la météo y était parfaite. Il a apprécié cette université ; les collègues y étaient éminents et les étudiants brillants : « l’université donnait à ses enseignants-chercheurs une grande liberté d’aller là où leur curiosité pouvait les mener, jointe à une éthique académique qui voyait la carrière universitaire non en termes de publier ou périr, mais en se scandalisant du fait que la quête de savoir puisse passer par quelque forme de coercition » (Carré, 2004, 15) [4]. C’est dans cette université qu’il développera sa théorie sociocognitive. Stanford a été un lieu idéal pour mener des recherches multidisciplinaires. En effet, Albert Bandura a pu travailler avec des chercheurs de pointe en psychiatrie, en cardiologie, et en médecine.
En 1974, il est élu président de la prestigieuse Association américaine de psychologie (APA). Pendant son mandat, les psychologues américains ont été menacés par des restrictions budgétaires importantes. Il créa un groupe pour défendre l’intérêt national d’avoir des psychologues, l’article publié en 1986, 2004, [5] l’atteste : « Une grande partie de l’opinion publique perçoit le psychologue comme une menace… les chercheurs en sciences sociales sont confrontés à ces résistances, car nous sondons la psyché, l’essence des hommes. Ce sont là des questions qui ne laissent pas les gens indifférents…. les psychologues devraient jouer un rôle plus actif en mettant leur savoir au service des politiques publiques. »
Ses principaux ouvrages et distinctions
- En 1976, la publication du livre : Social Learning Theory (Apprentissage social), fait le bilan de vingt-cinq ans de recherche, il aura un impact important sur l’orientation de la psychologie ;
- Autour de 1980, Albert Bandura élabore la théorie sociocognitive du fonctionnement psychologique et abandonne le terme de théorie de l’apprentissage social. Albert Bandura développe sa pensée dans un ouvrage non traduit en français « Social Foundations of Thought and Action, a Social-cognitive Theory. » (1986) (Les fondations sociales de la pensée et de l’action) ;
- En 1997, Albert Bandura publie : « Self-Efficacy. ». Livre qui paraîtra en France en 2002, traduit par Jacques Lecomte sous le titre : « Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. » Ce livre est le fruit de l’analyse de plus de 1 800 études et articles recouvrant une grande variété de pratiques. Dans l’introduction, Albert Bandura confie que son livre porte le nom d’un seul auteur mais qu’il est le produit des efforts conjugués de nombreux collègues et anciens étudiants dont la contribution est reconnue par les nombreuses citations dans l’ouvrage.
- Albert Bandura a reçu de nombreux honneurs et récompenses pour son œuvre. Il a été élu notamment à la présidence de l’American Psychological Association (1974) et de l’Association de psychologie de l’Ouest (1981). Il lui a été décerné seize fois le titre de docteur honoris causa par des universités américaines et européennes. Parmi les nombreux prix reçus, le prix Grawemeyer en 2008, le récompense pour ses contributions à la psychologie.
Son œuvre
L’œuvre d’Albert Bandura est considérable. Seulement quelques ouvrages, jalons de son œuvre seront évoqués ici. Dans le livre : « L’apprentissage social », Bandura a tenté de donner un cadrage unifié pour l’analyse de la pensée et du comportement. L’apprentissage social peut se définir comme le façonnement de nouvelles conduites par divers processus faisant appel à l’environnement social.
La théorie de l’apprentissage social repose sur trois processus : vicariants, symboliques, et autorégulateurs
- Rôle des processus vicariants ou de modelage :
Pour Albert Bandura, la majorité des apprentissages sociaux se fait sur une base vicariante en observant le comportement des autres et les conséquences qui en résultent pour eux. Pour Françoise Raynal et Alain Rieunier, il s’agit d’un apprentissage par observation puis reconstruction. Ils citent entre autre un proverbe africain : « Si tu es dans un village inconnu, avant de danser, regarde donc comment dansent les autres. » (Pédagogie : dictionnaire des concepts clés).
La pensée, les émotions, les comportements humains peuvent être influencés par l’observation, en cela Bandura s’oppose au béhaviorisme de l’époque. En effet, les travaux de recherche de Bandura et de Walters (Carré, 2004) [4], sur l’agressivité des adolescents issus des quartiers favorisés, avaient montré que le comportement de jeunes hyper agressifs était modelé sur celui des parents. Dans l’exemple de la poupée Bobo, un groupe d’adultes se livraient à des comportements agressifs envers un mannequin de clown gonflable. Il était comparé à un groupe témoin où il n’y avait pas eu d’agression, les enfants qui avaient observé les comportements violents les reproduisaient, voire improvisaient d’autres gestes. Ce travail montrait que l’apprentissage vicariant dépassait la simple imitation, de plus ce modelage avait fréquemment lieu en l’absence de tout renforcement. Il était donc possible d’apprendre sans récompense ni punition.
Le modelage nécessite un travail d’observation active par lequel, en extrayant les règles sous - jacentes aux styles de comportements observés, il est possible de construire des modalités comportementales proches de celles du modèle mais en les dépassant pour générer de nouvelles compétences, c’est ce que Bandura avait observé dans l’exemple de la poupée Bobo : les enfants étendaient leur agressivité à d’autres jouets que la poupée Bobo.
L’attention est nécessaire au modelage, de même que la mémorisation, les processus de reproduction du comportement et la motivation.
L’attention dépend à la fois : du modèle : attractivité, originalité, valeur affective fonctionnelle ou sociale et de l’observateur : son état physique et psychique, ses attentes, sa motivation.
La mémorisation repose sur la mise en jeu des lois de la mémorisation.
- La reproduction du comportement « modelé » dépend : des capacités physiques et cognitives des personnes, de la qualité d’auto-observation du sujet lors des tentatives de reproduction de l’action observée et de la précision de la correction des feed-back enregistrés lors des tentatives.
La motivation est nécessaire tout au long du processus de modelage.
Philippe Carré nous rappelle « qu’aujourd’hui plus encore qu’à l’époque de sa découverte, la théorie de l’apprentissage social par effet vicariant de l’observation de modèles présentés par les médias, se révèle d’une pertinence remarquable ». (Carré, 2004, 26) [4]. Elle éclaire un article publié en 2000 parlant du massacre à l’école de Littleton en 1999 aux Etats-Unis par deux adolescents. Elle établit de façon rigoureuse et prouvée, en laboratoire et situation réelle, que la pratique de jeux vidéo violents augmente la fréquence des comportements violents à courts et à longs termes.
Il nous faut aborder maintenant les deux autres composantes de cette théorie :
- Rôle des processus symboliques :
La théorie de l’apprentissage social repose sur le constat de l’extraordinaire capacité humaine à utiliser des symboles pour se représenter le monde, analyser ses expériences, communiquer, créer, anticiper et évaluer ses propres actions. En ce sens Albert Bandura est le précurseur de la psychologie cognitive.
- Rôle des processus autorégulateurs :
Bandura met en évidence le rôle de l’action propre du sujet dans ce qu’il appellera plus tard : l’agentivité humaine : « Toute action comporte parmi ses déterminants les influences produites par le sujet lui-même. » (Carré, 2004, 23) [4].
Les sujets sociaux ne sont pas uniquement de bons apprenants et des imitateurs actifs, ils sont des agents autodirigés, capables de participer à la motivation, à la guidance et à la régulation de leurs actions
La théorie sociocognitive
Il s’agit d’une psychologie sociale par l’importance accordée aux interactions réciproques qui relient la personne, son comportement et son environnement. La théorie d’Albert Bandura est également une psychologie cognitive car elle accorde un rôle central aux processus cognitifs, vicariants, autorégulateurs et autoréflexifs dans l’adaptation et le changement humain.
Dans la théorie sociocognitive « les sujets sociaux ne sont pas des organismes réactifs formatés par ses contingences sociopsychologiques ou dominés par des pulsions dissimulées au plus profond de leur psyché. Ils sont disposés à s’autoorganiser, à se comporter de façon proactive, à activer des mécanismes d’auto réflexion et d’auto-régulation. » (Carré, 2007, VI) [6].
Selon le psychologue canadien, le fonctionnement humain est le produit d’une interaction dynamique et permanente entre des cognitions, des comportements et des circonstances environnementales : c’est la causalité triadique.
- La causalité triadique réciproque :
Dans ce modèle de causalité triadique réciproque, les gens sont à la fois acteurs de leur devenir et reliés à leurs contextes sociaux et physiques d’existence, ils sont les coproducteurs de leur vie. La théorie sociocognitive s’inscrit dans la perspective de l’émergence d’une agentivité interactive. Dans la théorie sociocognitive, trois séries de facteurs entrent en interaction deux à deux (Carré, 2004) [4].
Les facteurs internes à la personne (P) concernent les événements vécus aux plans cognitif, affectif, biologique et leurs perceptions par le sujet ; en particulier les conceptions d’efficacité ou de compétence, les buts cognitifs, le type d’analyse et les réactions affectives vis-à-vis de soi-même.
Les déterminants du comportement (C) décrivent les patterns d’action effectivement réalisée et les schémas comportementaux.
Le déterminant environnemental (E) représente les propriétés de l’environnement social et organisationnel, les contraintes qu’il impose, les stimulations qu’il offre et les réactions qu’il entraîne sur les comportements.
Dans la théorie sociocognitive, le fonctionnement psychologique est analysé à travers une causalité réciproque triple d’où le terme de modèle triadique. Il est indispensable de considérer les trois séries de déterminants comme étant en interaction permanente dans des importances respectives variables et contingentes. D’après Bandura : « Le sens du modèle implique que les trois facteurs agissent selon des combinatoires variables, à travers une causalité généralement bidirectionnelle, et dans des proportions différentes selon les situations de vie » (Carré, 2004, 33) [4]. Par exemple, dans une situation d’urgence avec un risque de noyade : l’impact du facteur (E) sera déterminant sur le facteur (C) et mettra la dimension (P) estime de soi, attente des résultats… en arrière-plan.
La relation personne-comportement (P ?C) est l’objet d’étude de la psychologie cognitive :
On cherche à savoir comment les conceptions et croyances personnelles, les perceptions de soi, les aspirations et les intentions influent les comportements. Par exemple : influence de sa conception de soi en tant qu’apprenant, de ses attitudes vis-à-vis du savoir et de l’apprentissage sur les comportements effectifs d’engagement dans des parcours de formation.
Les effets extrinsèques sur la personne de ses actions, ses affects et cognitions seront analysés sur le segment (C ?P)
La relation environnement-personne : (E ?P) est classiquement le domaine de la psychologie sociale.
On cherchera à comprendre l’action de l’environnement sur les conceptions personnelles, à travers les mécanismes de persuasion, modelage, instruction, et les effets des feed-backs environnementaux sur les processus affectifs et cognitifs (attitudes, motivation, mémorisation, émotion…)
Le segment (P ?E) beaucoup moins étudié, illustre les effets de la perception du sujet par l’environnement, c’est-à-dire les réactions diverses liées à nos caractéristiques physiques ou statutaires, que nous éveillons avant même d’avoir eu l’occasion de nous exprimer ou d’agir. Les réactions sociales ainsi suscitées sont enregistrées et agissent à leur tour sur les conceptions que nous nous faisons de nous-mêmes en renforçant ou en affaiblissant les biais environnementaux initiaux.
L’interaction entre l’environnement et le comportement (E ?C) a été la plus analysée dans l’histoire de la psychologie. Tel l’impact des modifications situationnelles sur les comportements de conformisme, d’altruisme ou d’agression.
Inversement on peut noter combien dans la vie courante nous transformons notre environnement par nos conduites (C ?E) en agissant sur les personnes et sur les choses qui nous entourent dans le but conscient ou non de les transformer. Notre action sur l’environnement produit des effets sur notre comportement en un processus de causalité circulaire.
Comme on peut le voir, dans la théorie sociocognitive, l’homme n’est pas un animal solitaire : il naît dans un environnement donné, vit en symbiose quasi permanente avec son environnement humain, interagit avec de multiples autres dans des systèmes d’actions collectifs variés, en vue de finalités sociales plus ou moins partagées.
Le concept d’efficacité personnelle
Selon Albert Bandura (2010) [7] les individus, architectes partiels de leur propre destinée, contribuent causalement à leur fonctionnement psychosocial par des mécanismes d’agentivité personnelle dont le plus important et le plus répandu est la croyance d’efficacité personnelle.
- Genèse du concept d’efficacité personnelle ou autoefficacité :
Le concept d’efficacité personnelle dérive d’un programme de recherche sur : « l’expérience de maîtrise guidée. » (Bandura, 2004) [8] Dans ce programme, Bandura fait l’hypothèse que l’expérience de maîtrise est le principal outil de changement personnel. Il s’agit d’une méthode dans laquelle on donne à un patient la possibilité de réussir par étapes ce qu’il échoue habituellement ou ce qu’il craint d’échouer. Par exemple, les personnes phobiques de la conduite automobile ne sont pas disposées à prendre le volant qu’elles redoutent. Dans la méthode de l’expérience de maîtrise guidée, les thérapeutes décomposent la tâche insurmontable en sous-tâches aisément maîtrisées : commencer par faire de courts trajets dans des rues isolées et peu fréquentées, puis faire des trajets plus longs dans des rues où le trafic est plus intense. Pour favoriser la réussite, les thérapeutes listent avec les patients tout ce qui peut les aider à réussir. En quelques séances, les comportements phobiques disparaissent. Le traitement par l’expérience de maîtrise guidée est donc efficace. Mais pour éviter qu’une expérience négative réinstalle une phobie, il faut confronter les patients à une grande variété d’expériences. Si un patient vit de nombreuses expériences positives avec des chiens, une seule expérience négative induit chez le patient, la peur de ce chien-là en particulier mais pas des chiens en général. Cependant, si les patients n’ont pas d’autres expériences de maîtrise, un doute généralisé sur soi peut se manifester rapidement après une rencontre négative et rétablir un mode généralisé de comportement phobique. Le traitement doit induire une capacité à résister à une situation de stress. Dans une étude longitudinale, les ex-phobiques ont dit leur reconnaissance d’être débarrassés de leur phobie et ont expliqué que leur traitement avait eu un impact plus profond sur leur vie. Cela avait été pour eux une expérience transformatrice, libératrice. Se libérer en quelques semaines d’une phobie qui les tourmentait depuis plusieurs dizaines d’années, leur avait donné un grand sentiment d’efficacité à contrôler leur vie. Ils n’hésitaient donc plus à se mettre à l’épreuve et se réjouissaient de leur succès à leur plus grande surprise, nous dit Bandura.
- L’auto-efficacité : sa définition, ses sources Albert Bandura a cherché ensuite à comprendre ce système de croyance personnelle et a formulé une théorie sur la façon de construire un sentiment d’efficacité personnelle résilient, persévérant malgré les difficultés. Il a cherché à identifier ses différents effets, à spécifier les mécanismes par lesquels il agit et à définir des principes opérationnels pour appliquer ces connaissances à un niveau individuel et collectif.
Les hommes sont peu enclins à agir s’ils ne croient pas que leurs actes peuvent produire les effets qu’ils souhaitent. Les individus guident leur existence en se basant sur la croyance en leur efficacité personnelle.
Pour Bandura dans Self-Efficacy - The exercise of personal control, « L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance des gens dans leurs capacités à agir de façon à maîtriser les événements qui affectent leurs existences. Les croyances d’efficacité forment le fondement de l’agentivité humaine. » (Carré, 2004, 41) [4]
L’expérience vécue de maîtrise :
Les succès et les échecs entraînent une augmentation ou une diminution du sentiment d’efficacité personnelle, ceci cependant est modulé par d’autres facteurs tels la quantité d’effort à fournir : un échec vécu dans une situation difficile n’atteindra pas le sentiment d’auto efficacité et inversement.
L’expérience vicariante : si l’autre qui me ressemble, âge, sexe, y est arrivé, je peux le faire également.
La persuasion verbale par autrui : persuasion verbale sur les compétences qu’une tierce personne essaie d’instaurer chez le sujet, il faut que la tierce personne soit crédible aux yeux de celui-ci ;
L’état physiologique : une manifestation d’émotion peut induire des perceptions d’auto-efficacité favorables ou défavorables.
- Les concepts proches : Le concept d’estime de soi :
Les concepts d’estime de soi et d’efficacité personnelle perçue sont souvent utilisés de manière interchangeable alors qu’ils renvoient à des définitions totalement différentes.
« L’efficacité personnelle perçue concerne les évaluations par l’individu de ses aptitudes personnelles, tandis que l’estime de soi concerne l’évaluation de sa valeur personnelle » (Bandura, 2010, 24) [7]. Il n’y a pas de relation systématique entre ces deux éléments : on peut se considérer totalement inefficace dans une activité sans que cela n’altère son estime de soi parce que ces activités n’engagent pas la valeur personnelle, et inversement ; tout dépend de l’importance que l’on accorde à cette activité. Cependant les individus ont tendance à cultiver leurs aptitudes dans des activités qu’ils réussissent et qui leur donnent un sentiment de valeur personnelle. On ne peut parler de sentiment d’efficacité de manière générale, il n’y a que des sentiments d’efficacité spécifiques liés à telle ou telle activité : par exemple, l’expression sentiment d’efficacité sportive est imprécise, il faudrait parler de sentiment d’efficacité en tennis ou football.
Le locus de contrôle :
« On ne peut pas estimer identiques les croyances relatives à la capacité de produire certaines actions (efficacité personnelle perçue) et les croyances relatives au fait que les actions affectent ou non les résultats (locus of control). »
(Bandura, 2010, 37) [7]
Évocation des limites de l’œuvre d’Albert Bandura
Comme il est possible de l’entrevoir dans cette recension de quelques écrits de Bandura, son œuvre recouvre un grand nombre de disciplines, cependant elle n’a pas échappé aux critiques.
Ainsi pour Jacques Lecomte, 2004, [9], le sentiment d’efficacité personnelle ne met pas assez en évidence le lien avec les relations affectives qui pourtant jouent un rôle important dans la motivation.
Pour Pierre-Henri François, 2004, [10], si la portée des conceptions de Bandura est considérable et indéniable, il faut envisager des modulations culturelles des processus d’autoefficacité.
Le champ d’application de l’efficacité personnelle et la discipline infirmière
La théorie du sentiment d’efficacité personnelle a un impact important car elle est utilisée dans de multiples domaines comme : l’éducation, la santé, la psychothérapie, le travail, le sport. De nombreuses transpositions peuvent être faites dans les situations professionnelles ou peuvent les éclairer.
L’éducation
D’après Albert Bandura, 2010, [7], la transition historique de l’ère industrielle à celle de l’information, a de profondes conséquences sur le système éducatif. Dans le passé, les jeunes ayant suivi une scolarité limitée trouvaient des emplois industriels bien rémunérés même lorsque ces derniers n’exigeaient que des compétences cognitives minimales. Aujourd’hui la reconnaissance passe désormais par des rôles professionnels plus complexes. De plus, les changements sociaux et technologiques rapides imposent aux individus de nouvelles compétences ou leur adaptation pour éviter l’obsolescence. Les établissements scolaires doivent donc enseigner aux apprenants comment s’éduquer eux-mêmes tout au long de la vie pour s’autorenouveler. Les technologies de l’information sont en train de transformer l’entreprise éducative elle-même, une grande part de l’apprentissage aura lieu hors de l’école. Cependant, si les technologies éducatives peuvent faire beaucoup, elles ne peuvent pas tout faire. Les enfants ont besoin de professeurs pour les aider à construire leur sentiment d’efficacité, à cultiver leurs aspirations et à trouver la signification et la direction de leurs objectifs pour qu’ils s’éduquent eux-mêmes dans une diversité de domaines tout au long de la vie.
Les croyances d’efficacité agissent comme d’importants contributeurs au développement des compétences cognitives gouvernant la réussite scolaire par trois principaux moyens :
la croyance des élèves en leur efficacité à réguler efficacement leurs activités d’apprentissage, celle des enseignants d’être efficaces pour motiver et favoriser les apprentissages de leurs élèves, le sentiment collectif de l’équipe éducative que leur école est efficace pour faire progresser les élèves.
Le sentiment d’efficacité personnelle cognitive des élèves : (Bandura, 2010) [7].
Dans son livre « auto-efficacité », Bandura a mis en évidence que les enfants ayant le même niveau de compétence cognitive obtiennent des performances intellectuelles différentes selon l’intensité de leur efficacité perçue et que l’efficacité personnelle perçue constitue une meilleure valeur prédictive de la performance intellectuelle que les compétences seules. On peut faciliter le développement de l’efficacité cognitive personnelle en fixant des objectifs à l’élève : un objectif à long terme qui donne l’orientation et une série de sous-objectifs proximaux qui maintiennent la motivation et permettent d’acquérir un sentiment progressif d’efficacité personnelle.
L’efficacité perçue des enseignants (Bandura, 2010) [7].
Elle détermine en partie la façon dont ils structurent leurs activités pédagogiques et influencent les évaluations que font les élèves de leurs propres capacités intellectuelles, ceci d’autant plus que l’élève est jeune. Les enseignants qui ont un sentiment élevé d’efficacité personnelle pensent qu’il est possible d’apprendre aux élèves en difficulté par de l’ingéniosité et un effort supplémentaire. Ils peuvent également solliciter le soutien de la famille et vaincre les influences contraires du voisinage. Les enseignants qui ont un faible sentiment d’efficacité pédagogique estiment qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose si les élèves ne sont pas motivés et s’ils ne sont pas soutenus par leur famille et leur voisinage.
Pour Bandura, les enseignants qui ont un faible sentiment d’efficacité pédagogique sont généralement submergés par les problèmes en classe, stressés et énervés par la mauvaise conduite des élèves. Ils se focalisent plus sur la matière enseignée que sur la formation des élèves et utilisent des récompenses extrinsèques et des sanctions pour amener les élèves à étudier. Ils ne choisiraient pas le métier d’enseignant s’ils pouvaient recommencer. Or utiliser des méthodes coercitives pour que les choses soient faites favorise la dévalorisation des élèves.
- Les écoles efficaces (Bandura, 2010) [7] dont les caractéristiques sont :
le fort leadership pédagogique du directeur qui recherche des méthodes pour améliorer l’enseignement ;
des standards scolaires élevés et une ferme conviction que les élèves peuvent les atteindre ;
un enseignement orienté vers la maîtrise ;
une bonne gestion du comportement en classe ;
l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant.
Le sentiment d’efficacité des enseignants détermine partiellement le niveau de participation parentale dans les activités scolaires de leur enfant. Les enseignants ayant de l’efficacité personnelle augmentent l’efficacité des parents à aider leur enfant à apprendre ce qui en retour augmente le sentiment d’efficacité personnelle des enseignants. En raison de l’importance de l’influence familiale sur la réussite scolaire des enfants, la contribution de l’efficacité de l’enseignant à l’implication parentale dans les activités pédagogiques est d’une importance capitale. Beaucoup de parents ne savent pas comment aider leurs enfants à apprendre. Les parents qui doutent de leur efficacité à aider leurs enfants à apprendre délèguent entièrement l’éducation aux enseignants. Les parents défavorisés ont généralement une faible implication dans l’école et offrent peu de guidage pédagogique à leurs enfants, ce manque de connaissance est interprété faussement comme un manque d’affection alors qu’ils sont souvent intimidés par l’école et ils initient rarement le contact avec elle ; ils ont donc un faible sentiment d’efficacité à pouvoir influencer l’apprentissage scolaire de leur enfant. Il y a de forts enjeux à apprendre aux parents non impliqués comment favoriser le développement scolaire de leurs enfants. Ceci paraît d’autant plus nécessaire en raison de l’évolution de la structure familiale traditionnelle et du passage à une société multiculturelle dont certaines sont peu familiarisées avec les échanges avec les enseignants. S’appuyant sur différents travaux, Albert Bandura fait quelques propositions. Un programme de construction de l’efficacité devrait comporter un modelage vidéo de compétences familiales de tutorat ainsi que des exercices guidés sur leur application. Des stratégies montrant comment favoriser le développement des enfants devraient aussi être modelées. Pour favoriser un partenariat coopératif entre l’école et les parents, il faut instituer des visites à domicile réalisées par des parents formés qui enseignent aux autres parents les moyens d’aider leurs enfants à s’intéresser aux activités scolaires. Ce soutien aide les parents dans la croyance qu’ils peuvent influencer le développement pédagogique de leurs enfants.
Une autre caractéristique des écoles efficaces est la structuration des activités d’apprentissage de manière à permettre un sentiment de capacité personnelle et de réussite scolaire chez tous les élèves. Ces écoles favorisent un modelage d’expertise de l’apprentissage, dans lequel le progrès des élèves est étroitement contrôlé suivi immédiatement d’un feed-back correctif et d’un nouvel enseignement jusqu’à ce qu’ils maîtrisent les connaissances et les compétences cognitives. Avec ce type de guidage, tous les élèves réussissent, certains prennent plus de temps et ont davantage besoin d’aide que d’autres. Dans ces écoles, l’enseignement est interactif, les élèves travaillent souvent ensemble en petits groupes pour favoriser l’aide réciproque. Les tâches scolaires sont soigneusement structurées pour les élèves qui sont aussi encouragés à gérer leur apprentissage pour devenir des apprenants autodirigés.
« Dans ces écoles efficaces, le comportement en classe est géré avec succès, en favorisant, reconnaissant et valorisant les activités productives plutôt qu’en punissant les comportements perturbateurs. Cette approche suit le principe selon lequel une évolution défavorable est mieux modifiée si l’on récompense les comportements constructifs que si l’on punit les comportements néfastes »
(Bandura, 2010, 372) [7]
La santé
Dans le domaine de la santé, le concept de l’agentivité humaine est primordial. La santé des individus est d’abord entre leurs mains avant d’être entre celles des médecins. La santé est largement déterminée par les habitudes de vie et les conditions environnementales. Le sentiment d’efficacité donne aux individus la volonté de changer leurs habitudes, influence la façon dont ils envisagent leur motivation à changer, à persévérer dans l’effort pour réussir, à continuer en cas d’échec et à conserver leurs bonnes habitudes. Mais personne n’est à l’abri de périodes d’inefficacité, de découragement et d’absence d’objectifs ; un profond sentiment d’inefficacité personnelle à produire des résultats positifs rendant l’existence agréable est le facteur central de la dépression (Bandura, 2010) [7].
Selon le modèle de causalité réciproque triadique, chacune des trois catégories de facteurs causaux contribue de façon réciproque à cet état. Par exemple : le contributeur environnemental à la dépression est constitué par les échecs, épreuves, manques ou pertes de relations affectives. Cependant, toutes les personnes qui affrontent des situations négatives ne deviennent pas dépressives chroniques, seules celles qui interprètent d’une manière pessimiste les événements de vie difficiles aggravent et prolongent les épisodes dépressifs, il s’agit du contributeur cognitif à la dépression.
Pour certains, la dépression a son origine dans des problèmes interpersonnels : ceux qui ne font pas l’objet d’affection et d’amitié ou dont les relations interpersonnelles sont marquées par les conflits et les ruptures ont tendance à souffrir épisodiquement de dépression. Cet état éloigne l’entourage et renforce la situation. Les thérapies qui se focalisent sur les sources interpersonnelles de dépression cherchent à améliorer les compétences en communication, en résolution de problèmes interpersonnels… De nombreux individus sont dépressifs, non parce qu’ils sont socialement incompétents, ou affectés par des modes de pensée erronée, ou encore envahis par un sentiment généralisé d’impuissance ; mais parce qu’ils adoptent des critères de valeur personnelle qu’ils ne peuvent atteindre. Ces personnes sont insatisfaites de leurs réalisations, s’autodévalorisent en se comparant à la réussite des autres personnes et détruisent ainsi leur sentiment d’efficacité personnelle. L’autodénigrement chronique est la principale caractéristique de la dépression. Albert Bandura ne nie pas l’existence de troubles biochimiques qui, pour lui, représentent 10 % des dépressions. Il considère que « Le traitement efficace de la dépression nécessite que les patients s’engagent dans des styles capacitants de pensée et dans des activités de maîtrise qui contrecarrent l’autodévalorisation et le sentiment d’impuissance » (Bandura, 2010, 516) [7]. Citant les travaux de différents auteurs, Bandura affirme « Les individus bénéficiant de la thérapie sociocognitive maintiennent mieux leur amélioration que ceux traités par les antidépresseurs seuls qui risquent bien plus de rechuter à l’arrêt du traitement » (Bandura, 2010, 516) [7].
La discipline infirmière
La connaissance du concept d’auto-efficacité peut aider à une meilleure compréhension des phénomènes humains et à une meilleure personnalisation des soins.
- Les attributs du concepts d’auto-efficacité et sa mesure.
A partir des écrits de Bandura, on peut extraire les attributs du concept d’auto-efficacité. Les personnes qui possèdent ce sentiment d’efficacité personnelle ont les caractéristiques suivantes, elles :
ont vécu et analysé des expériences de maîtrise et de réussite ; ont acquis une assurance concernant les capacités dans un domaine particulier comme la croyance dans la capacité à apprendre ; considèrent les difficultés comme des paris à réussir plutôt que comme des menaces à éviter ce qui augmente leur intérêt et implication dans les activités ;
augmentent et maintiennent les efforts face aux difficultés ;
attribuent leurs échecs à des efforts insuffisants ou à un manque de connaissances ou de savoir-faire qui peuvent être acquis ;
approchent les situations menaçantes avec assurance car estiment exercer un contrôle sur celles-ci.
Ce sentiment d’auto-efficacité peut être mesuré :
Les échelles d’efficacité personnelle pour Bandura (2010, 70) [7] : « Les croyances d’efficacité devraient être mesurées en terme d’évaluation particularisée de capacités, pouvant varier en fonction du domaine d’activité, du niveau d’exigence de la tâche à l’intérieur d’un domaine d’activité donné et des circonstances. »
Quelques exemples peuvent être donnés : échelle permettant d’évaluer le degré d’auto-efficacité des sujets diabétiques vis-à-vis de leur maladie : Diabetes Empowerment Scale de Anderson et al. (2000) (Chamberlain et Quintard, 2001) [11]. La version française de l’Arthritis Self-Efficacy Scale d’Aguerre (1999) (Aguerre, 2001) [12] est couramment utilisée pour évaluer le sentiment d’auto-efficacité éprouvé par des sujets arthritiques confrontés à trois grands types de problèmes : les limitations fonctionnelles, la douleur chronique, et d’autres conséquences négatives de la maladie comme la fatigue, la diminution des activités, la dépression.
Un autre concept issu de l’œuvre de Bandura enrichit la discipline infirmière : apprentissage vicariant (Formarier, 2009) [13] et (Parent, 1997) [14] :
Le concept d’apprentissage vicariant
Il est assez peu connu en France. Une des premières présentations, en lien avec les soins infirmiers, a eu lieu lors des journées d’étude de l’Association de Recherche en soins infirmiers en janvier 1997 dont le thème était : « Des soins infirmiers aux concepts » et a été repris dans la publication de la revue Recherche en Soins Infirmiers en décembre 1997.
La recherche présentée portait sur l’intervention de soutien par des anciens patients modèles auprès de personnes devant subir une chirurgie cardiaque. Il s’agissait d’un mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maître ès Sciences en sciences infirmières. L’auteur, Nicole Parent infirmière PhD, a basé son étude sur la théorie de l’auto-efficacité de Bandura qui elle-même découle de la théorie de l’apprentissage social. Si l’on se réfère aux quatre sources de l’auto-efficacité telles quelles ont été vues précédemment, peu d’études ont exploré l’effet de l’apprentissage par observation (apprentissage vicariant) comme source de motivation et de soutien sur le cheminement psychologique du patient qui doit subir une chirurgie cardiaque. Cependant, certaines études avaient démontré l’efficacité des mécanismes de renforcements vicariants dans la modification des comportements de l’obésité et du tabagisme. Le renforcement vicariant fait référence aux conséquences observées du comportement d’un autre individu. Si on observe qu’un comportement adopté par d’autres réussit, cette constatation augmente la tendance à se comporter de la même façon et inversement. L’observation est donc un phénomène essentiel. D’autres études ont montré l’influence réciproque entre l’auto-efficacité et l’exécution d’une activité physique chez des sujets, à la suite d’un infarctus du myocarde. Dans l’étude présentée par Nicole Parent, la comparaison des résultats entre un groupe de patients contrôle et un groupe expérimental de patients devant subir une chirurgie cardiaque montre l’intérêt de l’intervention d’information et de soutien d’un ancien patient modèle ayant reçu préalablement une formation. Les trois hypothèses de recherche formulées ont été vérifiées : les sujets recevant l’intervention de soutien de la part d’un patient modèle ont démontré un niveau d’anxiété inférieur à celui des sujets recevant des soins usuels, tout au long de l’étude. Un niveau d’auto-efficacité supérieur (mesuré à l’aide de l’échelle de la perception d’auto-efficacité de Jenkins élaborée en 1989 traduite en partie et adaptée par N. Parent) a été constaté. En période de réadaptation : une reprise plus importante des activités physiques a été observée.
La théorie de l’auto-efficacité de Bandura constitue donc un cadre théorique pertinent à la problématique de soins en réadaptation cardiaque. Cependant, il serait utile de ne pas se limiter à cette expérience : l’éducation thérapeutique prenant de plus en plus de place dans le traitement des maladies chroniques, les usagers pourraient se modeler sur l’observation du vécu de patient modèle.
Synergie entre la motivation et le sentiment d’efficacité personnelle
Si l’éducation thérapeutique est un axe à privilégier dans l’action infirmière, une des étapes à approfondir est la motivation. Jacques Lecomte dans une conférence donnée à l’association des infirmières et infirmiers en réadaptation, rééducation (20 septembre 2007) nous donne une piste (Lecomte, 2007) [15]. Selon William Miller et Stephen Rollnick, psychologues, la motivation (et donc le manque de motivation) ne se situe pas seulement au sein de l’individu, mais est un processus interpersonnel. Ces auteurs ont mis au point une méthode de communication, l’« entretien motivationnel » afin d’aider les gens à s’engager dans les changements de comportement qu’ils souhaitent opérer. L’entretien motivationnel est centré sur la personne accompagnée et se focalise sur le point de vue de celle-ci. Ils insistent sur le fait que l’entretien motivationnel est avant tout une manière d’être pour et avec les personnes, bien plus qu’un ensemble de techniques. Cette approche favorise la collaboration entre le soignant et son patient, en respectant l’autonomie des individus et leur liberté de choix. Au lieu de signifier « J’ai ce dont vous avez besoin », l’entretien motivationnel communique : « Vous avez ce dont vous avez besoin et nous le découvrirons ensemble ». Le sentiment d’efficacité personnelle désigne, non pas le nombre d’aptitudes personnelles que possède un individu, mais ce qu’il croit pouvoir en faire dans des situations variées. En effet, selon Bandura, si une personne estime ne pas pouvoir produire de résultats satisfaisants dans un domaine, elle n’essaiera pas de les provoquer. Un but essentiel de l’entretien motivationnel est précisément de faciliter le développement du sentiment d’efficacité personnelle chez autrui. Le message véhiculé est en quelque sorte : « Si vous souhaitez changer, je peux vous aider ». Ceci peut se faire notamment en posant des questions évocatrices qui font émerger de la personne ses propres idées, expériences et perceptions en lien avec sa capacité de changement. Il est possible de s’appuyer sur ses succès passés ; l’invitant à évoquer ses forces personnelles et les soutiens dont elle bénéficie. « Quels sont vos points forts qui pourraient être utiles pour que vous réalisiez ce changement avec succès ? » L’« échec », peut être recadré par exemple en soulignant qu’il est normal de s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir quelque chose, ou en attribuant l’« échec » à des facteurs externes et instables. Des hypothèses positives peuvent être envisagées, par exemple : « Si cet obstacle était levé, comment feriez-vous pour organiser ce changement ? »
L’entretien motivationnel permet d’évoluer positivement, dans le sens des changements que les personnes souhaitent réaliser dans leur existence.
Auto-efficacité des apprenants
Marc Nagels a publié une étude relative à cette auto-efficacité. Dans « l’auto-efficacité des apprenants. Pour une ingénierie de l’acquisition des compétences professionnelles. » (2006) [16]. Il apprécie à l’aide d’une échelle d’auto-efficacité au travail (Follenfant et Meyer, 2003), le sentiment d’efficacité personnelle dont dispose les cadres de santé publique pour résoudre les problèmes professionnels et acquérir les compétences critiques spécifiques à leur métier.
Le sentiment d’efficacité personnelle se développe par la conduite d’activités réflexives sur les obstacles rencontrés et les réussites obtenues. Marc Nagels suggère donc des améliorations à l’ingénierie de formation des cadres à l’Ecole Nationale de Santé Publique. Le sentiment d’auto-efficacité des cadres augmenterait à l’issue d’un travail d’explicitation, d’élaboration et de conceptualisation de l’activité, c’est-à-dire de formation d’un schème. Schème définit par Gérard Vergnaud dans Recherche en Education, octobre 2007, comme « une forme invariante d’organisation de l’activité et de la conduite pour une classe de situations déterminée » (Vergnaud, 2007) [17]. Cette réflexion est transposable à la formation des infirmiers (ères) et cadres de santé.
Conclusion
On peut trouver dans la biographie d’Albert Bandura quelques influences à l’origine de la théorie sociocognitive, en particulier son vécu au sein d’un environnement familial stimulant. La vision apportée par les théories de Bandura est en effet, une vision positive, dynamique en lien avec l’agentivité humaine, dans le contrôle des événements qui affectent l’existence.
Les exemples présentés d’utilisation des concepts montrent tout l’intérêt des théories de Bandura pour l’enrichissement de la discipline infirmière dans l’éducation à la santé, l’éducation thérapeutique, l’andragogie. Si pour Cottraux « Le sentiment d’efficacité personnelle perçue est relié à l’optimisme et représente un facteur de résilience et de bonne santé. » (2011, 66-69) [18] ; le degré de sentiment d’auto-efficacité de l’usager, partenaire de soins, pourrait être une ressource importante à explorer lors de la démarche clinique : un levier de résilience. A travers tous ces exemples la théorie sociocognitive pourrait être contributive à la discipline infirmière. La portée des concepts évoqués montrent donc l’enjeu de s’y référer pour réaliser des recherches en soins infirmiers, sources de connaissances pour guider la pratique.
Enfin, Philippe Carré (2004) [4] apporte un élément de conclusion : « Explicative, prédictive et opérationnelle, la théorie sociocognitive répond aux défis posés à une psychologie scientifique par la complexité des enjeux épistémologiques, pragmatiques et sociaux du XXIe siècle. »
Références bibliographiques
1 – GUERRIN B. Estime de soi. In : Les concepts en sciences infirmières. FORMARIER M. et JOVIC L. (sous la direction de) Editions Mallet Conseil, 2009 ; 174-175.
2 – PAJARES F. Albert Bandura : Biographical Sketch. 2004, http://des.emory.edu/mfp/bandurabio.html, consulté le 15 février 2011.
3 – SCOTT BREWER S. « Rencontre avec Albert Bandura : l’homme et le scientifique », L’orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 37/1 | 2008, mis en ligne le 15 mars 2011, URL : http://osp.revues.org/index1596.html ; DOI : 10.4000/osp.1596, consulté le 08 novembre 2011.
4 – CARRE Ph. Bandura une psychologie pour le XXIe siècle. In : De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle. Autour de l’œuvre d’Albert Bandura, CARRE Ph. Savoirs - revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, Editions L’Harmattan, Hors-série, 2004 ; 10-50.
5 – BANDURA A. « Bandura : ce n’est pas le moment de se passer des psychologues ». In : De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle. Autour de l’œuvre d’Albert Bandura, CARRE Ph. Savoirs -revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, Editions L’Harmattan, Hors-série, 2004 ; 169 -175.
6 – CARRE Ph. Préface In : Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle Bandura, Editions de Boeck, 1ère édition : 2007, 2e édition : 2010. VI.
7 – BANDURA A. Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle, Editions de Boeck, 1ère édition : 2007, 2e édition : 2010.
8 – BANDURA A. « J’y arriverai » : le sentiment d’efficacité personnelle. Sciences Humaines, avril 2004 ; 148 : 42 – 45.
9 – LECOMTE J. Les applications du sentiment d’efficacité personnelle. In : De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle. Autour de l’œuvre d’Albert Bandura, CARRE Ph. Savoirs - revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, Editions L’Harmattan, Hors-série, 2004 ; 59-90.
10 – FRANÇOIS PH. Fondements sociaux de la pensée et de l’action chez Bandura. In : De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle. Autour de l’œuvre d’Albert Bandura, CARRE Ph. Savoirs -revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, Editions L’Harmattan, Hors-série, 2004 ; 51-58.
11 – CHAMBERLAIN K, QUINTARD B. Les déterminants psychosociaux de l’ajustement au diabète. In : Personnalité et maladies. Stress, coping, ajustement. BRUCHON-SCHWEITZER M, QUINTARD B. (sous la direction de). Dunod, 2001 ; 93-112.
12 – AGUERRE C. Rôle des facteurs psychosociaux dans l’apparition et l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde. In : Personnalité et maladies. Stress, coping et ajustement. BRUCHON-SCHWEITZER M, QUINTARD B. (sous la direction de) Dunod, 2001 : 113-120.
13 – FORMARIER M. Vicariant (Apprentissage, Expérience). In : Les concepts en sciences infirmières. FORMARIER M. et JOVIC L. (sous la direction de) Editions Mallet Conseil, 2009 ; 290-291.
14 – PARENT N. Intervention de soutien par des anciens patients modèles auprès de personnes devant subir une chirurgie cardiaque. Recherche en Soins Infirmiers, décembre 1997 ; 51 : 59-100.
15 – LECOMTE J. L’empathie et ses effets. www.airr.info/docs/brochure%20AIRR%SOCHAUX.pdf, consulté le 17 décembre 2011.
16 – NAGELS M. Texte présenté à la 8e biennale de l’éducation et de la formation à Lyon en 2006 www.inrp.fr/biennale/8biennale/contrib/longue/456.pdf. Consulté le 1er juillet 2011.
17 – VERGNAUD G. Le schéma de G.VERGNAUD et l’analyse des pratiques. www.formationcompetences.fr/downloads/schmedeg.vergnaud.pdf. Consulté le 14 janvier 2012.
18 – COTTRAUX J. Changer tout en restant soi-même. Sciences Humaines, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, juin, juillet, août 2011 ; 66-69.
Résumé
Français
Le psychologue canadien Albert Bandura (1925) auteur du concept d’auto-efficacité est encore peu connu des infirmières. Cet article donne un aperçu de sa biographie et de son œuvre. Les théories d’Albert Bandura apportent une vision positive et dynamique en lien avec l’agentivité humaine dans le contrôle des événements qui affectent l’existence. Les concepts d’apprentissage vicariant, d’auto-efficacité, d’agentivité peuvent enrichir la recherche infirmière.